Pourquoi les personnes LGBTQ sont-elles plus exposées aux violences ?

Publié le Jeudi 01 Août 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Quatre choses à savoir sur les discriminations des personnes LGBTQ.
Quatre choses à savoir sur les discriminations des personnes LGBTQ.
Le livre "Après le silence" s'attarde sur les agressions sexuelles - mais aussi les préjugés - dont souffrent les personnes LGBTQ. L'idéal pour contrer les clichés et mettre en lumière une réalité encore trop ignorée.
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Pourquoi les personnes LGBTQ sont-elles plus à risque de subir des violences sexuelles ? Quels préjugés inhérents au sexe, au genre et à l'orientation sexuelle entrent en compte lorsqu'elles se promènent dans la rue, échangent avec des inconnu·e·s ou se rendent dans un commissariat ? L'aide qu'on leur propose en cas d'agressions est-elle vraiment satisfaisante ? Toutes ces questions, et bien plus encore, Après le silence y répond.

Sous-titré "Réagir aux agressions sexuelles envers les personnes LGBTQ", l'opus dirigé par Michel Dorais et Mathieu-Joel Gervais est le fruit d'une recherche ambitieuse menée auprès d'une quarantaine de voix anonymes, mais également d'organismes d'aide aux victimes. En résulte une libération massive de la parole. Parole le plus souvent ignorée ou meurtrie, mais qui donne ici à entendre les pires exemples de discriminations dont les personnes homosexuelles, lesbiennes et transgenres font l'objet. Car les mythes ne manquent pas, et ils ont de quoi susciter l'indignation. En voici trois.

La prétendue jupe courte des hommes gays

Le mythe de la "jupe courte" des hommes gays.
Le mythe de la "jupe courte" des hommes gays.

Les mythes véhiculés au sein de la communauté gay ne manquent pas. Se focalisant particulièrement sur la société canadienne, Après le silence s'attarde sur l'un des pires : la prétendue "jupe courte" des hommes gays. Soit le cinglant "victim-blaming" que ces derniers subissent dès qu'il s'agit d'évoquer leur agression. Certains sont pointés du doigt parce qu'ils ont une vie sexuelle très active. Font des rencontres sur Internet. Et tombent sur la mauvaise personne. D'autres parce qu'ils ont plusieurs partenaires sexuels. Et la plupart parce qu'au lieu de leur tendre l'oreille, on leur renvoie à la figure un autre mythe : celui "de la virilité invincible attendue des hommes".

Virilité qui, comme l'écrivait brillamment la philosophe Olivia Gazalé dans son essai éponyme, est justement cela : un mythe. Une construction sociale qui, face à l'oppression, n'amène qu'une seule réponse, à savoir la redoutée rengaine du "mais tu t'es laissé faire ?"...Plus accablant encore est cet autre fantasme populaire : "si l'on est gay, donc plus ou moins marginal, l'on serait condamné à endurer ce qui nous arrive". Entre "blaming" et "shaming", culpabilisation et oppression, l'argument de "la jupe courte" a la dent dure. Et tend davantage à accuser la victime que l'agresseur.

On s'en doute, éducation et sensibilisation sont encore nécessaires pour faire évoluer les mentalités. "J'pense qu'il faut travailler sur le 'non' et le consentement. Démystifier les parcs et les espaces publics. C'est pas parce que t'as été dans un espace comme ça, où il y a de la drague, et que tu t'es fait violer, que tu dois garder le silence", s'indigne en ce sens une victime au gré des pages. Ce silence est hélas encore de mise chez ceux qui, légitimement, redoutent ce genre de jugements. Car cet imaginaire collectif influe directement sur la déposition des plaintes - et leur refus. "Quand t'as une agression sexuelle à rapporter, tu ne t'attends pas à voir un gros barbu musclé", s'attriste en ce sens une voix anonyme dans un chapitre au nom éloquent : "Devenir une victime". Compliqué quand on est "un mec".

L'agression sexuelle comme cause de transition

Les personnes trans font l'objet de bien des fantasmes.
Les personnes trans font l'objet de bien des fantasmes.

En s'épanchant sur les droits des personnes transgenre au Québec, cet opus met en lumière les plus insupportables des images préconçues. Exemple ? La perception de ces dernières comme des "bêtes de sexe", qui, puisqu'elles se situent en dehors de la cisnormativité, seraient forcément ouvertes à tous les désirs et les "expériences". Prêtes à tout accepter, "y compris à subir des rapports sans consentement", témoigne une victime. "[On croit] qu'une femme trans ça aime le cul, que c'est fait pour ça, puis elle ne dira pas non, et puis si elle dit non, elle va dire oui en même temps", cingle une autre.

Parmi les "mythes" que l'on aimerait voir disparaître, celui de l'agression sexuelle comme principale cause de la transition. Au fil des témoignages qui s'alternent, quatre personnes trans participantes l'ont affirmé : la relation entre agressions préalablement subies et désir de transition est un fantasme qui persiste au sein de la société. L'une de ces voix recueillies connaît carrément quatre ou cinq personnes transgenres "qui, lorsqu'elles ont fait leur coming out, se sont vues répondre : non, c'est parce que t'as été violée !". Cette idée de transition d'un genre à l'autre en fonction des violences subies serait particulièrement répandue dans le monde du travail.

Or, "l'orientation sexuelle ça n'a pas vraiment d'importance quand tu as subi des abus tu sais, c'est le geste de l'abus qui est important", achève un participant avec fermeté. Cette forme de transphobie dite "ordinaire" englobe bien d'autres préjugés. A l'égard des femmes trans par exemple, considérées par les hommes "comme dans les rapports de domination et soumission : soit comme des soumises, soit comme des dominatrices".

Les femmes lesbiennes ? En manque de "vrais mecs"

Les préjugés qui accablent les femmes lesbiennes.
Les préjugés qui accablent les femmes lesbiennes.

"Je pense que, comme lesbienne, on est constamment en danger, parce qu'on est lesbienne. J'ai été attaquée, pas seulement dans le cadre de violences sexuelles, mais aussi de violences physiques", déplore l'une des répondantes de cette recherche aussi nécessaire que transversale. Harcèlement, insultes, agressions physiques et masturbations en public ponctuent les témoignages de femmes lesbiennes interrogées par les auteurs. Des violences la plupart du temps subies après avoir affiché des signes d'affection à leurs conjointes, et qui nous démontrent une chose : oui, la lesbophobie est une forme de sexisme.

En 2019 encore, les femmes lesbiennes sont menacées de deux façons. D'une part, car ces remarques visent leur orientation sexuelle. Et d'autre part, car elles visent leur sexe. "C'est une manifestation extrême de discrimination qui peut me toucher. Je ne connais pas une femme qui n'a pas vécue une forme de violence sexuelle. Il y a une oppression en tant que femme, puis en tant que lesbienne aussi", détaille à ce titre une répondante. Surtout, la manifestation est "extrême" par l'un des préjugés majeurs qu'elle concentre : les femmes lesbiennes le seraient car elles n'ont pas encore trouvé l'homme capable de les expédier au septième ciel. Oui, sérieusement.

Une perception tordue "qui peut pousser certains hommes à penser qu'ils sont légitimes de les agresser", nous dit-on. Mais c'est avant tout une énième manière pour la domination masculine d'affirmer son emprise sous couvert d'un argument en béton armé (ou pas) : les femmes lesbiennes ne savent pas ce qu'est "un vrai mec". Vous avez dit "mythe de la virilité" ? "Je vais te montrer ce qu'est un homme", rapporte d'ailleurs avoir entendu l'une des participantes. Sous cette menace s'immisce le poids d'une sexualité hétéronormée qui se fantasme elle-même. S'envisage en "sexualité complète" où le désir masculin ne serait autre qu'une "opportunité". Inutile de vous dire tout ce qu'une telle "croyance" engendre comme réflexions misogynes...

"Après le silence"
"Après le silence"

Ce sont tous ces témoignages qui rendent cette lecture si importante, aussi difficile soit-elle à digérer. "Après le silence", se trouve l'espoir : celui, urgent, de voir formées et informées les figures d'autorités auxquelles se heurtent régulièrement les minorités opprimées - des policiers aux médecins. D'une parole qui ne serait plus remise en doute et source de stigmatisations parfois inconscientes, d'une identité qui ne serait plus mégenrée, de corps qui ne seraient plus sur-sexualisés par le regard d'autrui. C'est cet "après" qu'il importe aujourd'hui de penser. Et d'écrire.

Après le silence : réagir aux agressions sexuelles envers les personnes LGBT
Sous la direction de Michel Dorais et Mathieu-Joel Gervais.
Editions Presses de l'Université Laval, 164 p.