Le cottagecore, tendance écolo ou arnaque bien réac ?

Publié le Mercredi 09 Septembre 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Petit aperçu des centaines de milliers de fragments "Cottagecore"...
Petit aperçu des centaines de milliers de fragments "Cottagecore"...
Prairies enchantées, paniers de légumes, fringues et coiffures "vintage" en mode Amish... Sur les réseaux, le "cottagecore" suscite passion et véhémentes accusations. Gros plan sur un phénomène qui fascine autant qu'il angoisse.
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Près de 700 000 publis sur Instagram. Des milliers de vidéos sur TikTok. Oui, le cottagecore a le vent en poupe. Et ses dérivés avec : #cottagecorestyle, #cottagecoreaesthetic, #cottagecorecommunity... OK, mais c'est quoi, le cottagecore ? La mode du rustique. Autrement dit, la fascination des internautes pour les maisons de campagne, les longues robes florales et les chapeaux, les rayons de soleil qui perlent sur des terres fertiles...

C'est la vision moderne d'une ruralité que l'on romantise et, disons-le tout net, que l'on fantasme. Des kiffes de jeunes citadin·e·s en somme, qui s'imaginent déjà loin des métropoles, chemisier sur les épaules, à cultiver leur jardin (et leur potager) à quelques enjambées d'un lac ou d'un champ. De verts pâturages pour changer des tours de verre. C'est cela, le cottagecore : du kitsch cool, entre La petite maison dans la prairie et un album de folk.

Vu comme ça, ces quelques lignes devraient suffire à résumer la chose. Oui mais non. Car outre-Atlantique, cette mode engendre élégies et polémiques, critiques alarmantes et réappropriations militantes. On pensait le concept ringard, il est complexe. Et on vous explique pourquoi.

Un retour à la nature idyllique ?

Comme son nom l'indique, le "cottagecore" fait la part belle aux petites maisons de campagne. Vous savez, ces demeures en pierres, avec la cabane (en bois) qui va avec et tout le panorama autour. Champs dorés ou herbes verdoyantes, paniers en osier où s'amassent les tomates, pommes et poireaux, bouquets de fleurs cueillis en mode offrande amoureuse... Une vie rurale, mais surtout une vie de rêve. Un idéal porté par des voix féminines, comme l'est le mouvement tout aussi en vogue de l'écoféminisme.

Vu de loin, ces deux élans engendrent les mêmes images : une union ancestrale entre femme et Nature, un respect de cette "Mère" nourricière par-delà le chaos des civilisations urbaines, champs et prairies se faisant terres d'évasion pour individus en mal d'utopie. Ici, les femmes reprennent le pouvoir. Comme si le temps s'était arrêté, cette ode aux cottages se veut élégamment désuète, antidote subtil aux angoisses de la modernité.

 

Une modernité que la tendance embrasse pourtant, puisque c'est sur Instagram et TikTok que ses représentantes s'affichent, l'espace de portraits esthétiques au possible. Des clichés par milliers, mais qui frappent par leur curieuse monochromie. Car parées de leurs fines robes, de leurs plats faits maison et de leurs cheveux ornés d'un foulard tout aussi fin, force est de constater que celles qui font du rustique le nouveau cool sont majoritairement jeunes et blanches - un tour sur les réseaux suffit à le démontrer.

En filigrane, le "cottagecore" suggère la possibilité d'une existence alternative et idéale... Mais pas très inclusive. Comme ces fameux "journaux de bords" en pleine résidence secondaire qui nous ont tant saoulé durant tous ces mois de confinement. Des romantisations de la campagne faites de chevaux, de vastes jardins et de pain-maison.

Sous le rêve, le réac

 

Cela illustre bien l'un des grands reproches faits à cette tendance : elle serait le moyen d'expression des classes privilégiées, bien heureuses de pouvoir s'isoler dans un coin de cambrousse chatoyant pour mieux ignorer les réalités sociales et les luttes qui leur sont relatives, noyées dans une couche sirupeuse de rêves retouchés. Un constat si amer qu'il incite à quelques bousculades. Et c'est justement pour reprendre les choses en main que les femmes noires revendiquent aujourd'hui le "Black Cottagecore".

Sur Insta, bien que marginales, ces femmes déploient leurs sourires solaires, leurs chemisiers et leurs fleurs d'été, leurs paniers en osier, en mode sieste dominicale, goûter d'Alice au pays des merveilles ou pique-nique... Et ça, c'est déjà plus réjouissant. Voire même, subversif.

La journaliste lifestyle Leah Sinclair l'explique sur Medium : "Voir des femmes noires vivre une vie insouciante, heureuse et luxueuse, c'est les voir dans des espaces où beaucoup ne s'attendent pas à ce qu'elles soient, explorer une facette rarement représentée dans les médias et souvent associée à la blancheur", écrit-elle. Comme un tacle aux esprits trop étroits, ces photos sont emplies de confiance, d'indépendance, de fierté.

"J'adore le sentiment de paix que ces photos m'apportent. L'idée d'autonomie et de vie dans une maison de campagne me plaît beaucoup et j'espère la concrétiser un jour", explique à l'unisson Elo Margie, jeune pratiquante du "Black Cottagecore" (sur Pinterest). Alors, tout est au mieux dans le meilleur des mondes ? Pas vraiment. Car là encore, le bas blesse.

Comme l'énonce effectivement Leah Sinclair, il est toujours difficile de revendiquer le "cottagecore" quand on est une femme noire. A cause de l'imaginaire pas si doucereux qu'il véhicule. Une vie dans les champs, rustique, pastorale, "rétro", envahie de femmes blanches... Tout cela n'est pas vraiment dépourvu d'accents post-coloniaux, inconscients ou non. Tant et si bien que le phénomène est volontiers rebaptisé "Plantation-core" par certaines voix militantes qui voient là un "cosplay de l'esclavage".

Le choix des fringues, entre chapeaux, tabliers et robes, exacerbe ces troublants sous-entendus. "Étant originaire du Sud, je comprends que la nostalgie de cottagecore suscite des émotions contradictoires. C'est vraiment difficile pour les femmes noires de s'engager dans l'esthétique associée à cette sous-culture", déplore d'ailleurs l'artiste et designer Tiffany Le. On le comprend, ce n'est pas qu'une histoire de hashtag, de tartes et de tournesols.

Du rustique polémique

Et si le "cottagecore" n'avait pas grand-chose à voir avec l'écoféminisme ? Comprendre, et s'il n'avait rien de révolutionnaire ? Pour certain·e·s, il serait même le contraire : profondément réactionnaire. Du vrai "porn" pour les suprématistes blancs. Une nostalgie raciste maquillée en songes poétiques et fashion. Plus proche du "féminisme" d'une Sarah Palin que de celui d'une Jane Austen. Aie aie aie.

Sous le conte de fées anticapitaliste, l'extrême droite américaine ? C'est ce qu'affirme le site culturel HoniSoit l'espace de ce déboulonnage en règle. Comme c'est un peu le cas chez nous, la ruralité outre-atlantique rime avec mythe de la virilité. Pères exemplaires, valeurs familiales, traditions ancestrales... A l'opposé des villes dites "décadentes", la campagne est toujours dans l'inconscient populaire l'incarnation d'une certaine moralité, synonyme d'identité nationale et de stéréotypes de genre bien établis.

Des valeurs qui ne sont pas sans séduire une certaine frange de l'électorat. Pour HoniSoit, le "cottagecore" pourrait bien être la tendance fétiche de l'alt-right, cette "droite dure" US qui vote Donald Trump. Notamment via les préceptes dits "éco-fascistes", cette vision protectrice et patriotique de la nature comme terre d'exil pour la "race blanche", aux antipodes d'une modernité mixe, cosmopolite et déjà condamnée.

Au creux de cette propagande, la même idéalisation d'une nature "sacrée" et pure" qui, comme le rappelle le site, était déjà bien présente au sein de l'idéologie nazie. Fascinés que nous sommes par cette Nature paradisiaque, nous oublions qu'elle est empreinte de véritables "croyances blanches et occidentales" au passif peu reluisant...

De quoi transformer le rêve en cauchemar. Tout de suite, les publications les plus virales semblent moins attrayantes. Preuve en est que le "cottagecore" fascine le web autant qu'il l'angoisse, comme peu de tendances actuelles savent le faire.

Certaines, comme la jeune Afro-Américaine Elo Margie, voient là un moyen "d'expression de soi" épanouissant pour les femmes noires. C'est aussi ainsi que l'envisagent les jeunes lesbiennes qui usent du tag #cottagecorelesbian pour faire entendre leurs voix - elles sont plus de quatre mille à l'avoir fait sur Insta.

D'autres voient plutôt là un champ culturel fertile et sans cesse renouvelé par les artistes, comme le démontre - par exemple - le dernier album introspectif de Taylor Swift, Folklore - et le lumineux photoshoot qui va avec. Des voix plus critiques enfin recommandent de privilégier le livre d'histoires au smartphone. Et de faire gaffe à la réappropriation facho de cette "mélodie du bonheur" faite de chaumières et d'oiseaux qui chantent.