"On risque de repartir de plus belle" : le monde d'après sera-t-il plus écolo ?

Publié le Mardi 19 Mai 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Comment militer à l'heure du déconfinement ?
Comment militer à l'heure du déconfinement ?
Malgré le mot d'ordre du confinement ("Restez chez vous"), les mobilisations ne se sont pas stoppées net pour autant. Et notamment du côté de la lutte environnementale. Face à la crise climatique, l'engagement se poursuit et se renouvelle à l'heure du "monde d'après".
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Que peut-on faire quand on ne peut plus manifester à l'heure du coronavirus ? Aux quatre coins du monde, militants écologistes et citoyens sensibilisés aux enjeux de la crise climatique se posent la même question. S'il est une ébauche du fameux "monde d'après", le déconfinement ne change pas grand chose - les manifestations sont encore interdites. A l'heure de la distanciation sociale, une question demeure : comment s'engager pour la planète ?

Mais aussi : ces derniers mois ont-ils été sources d'enseignement, oui ou non ? Peut-on espérer des lendemains plus verts ? Sur Twitter, la jeune militante Greta Thunberg l'a écrit et répété : "En période de crise, nous changeons notre comportement et nous nous adaptons aux nouvelles circonstances pour le plus grand bien de la société". Ces attitudes, justement, méritent d'être passés au crible. Elles pourraient bien être signe d'espoir.

Spécialistes des questions environnementales, vidéastes activistes, autrices engagées, militantes et instigatrices de mouvements : les voix de l'engagement écolo d'aujourd'hui dressent le bilan.

La planète au temps du confinement

Un Paris "naturel" au temps du confinement.
Un Paris "naturel" au temps du confinement.

Lorsque l'on pense "planète" et "confinement" nous vient à l'esprit cette assertion puissante en forme de slogan : la nature reprend ses droits. Animaux sauvages en villes, chants des oiseaux retentissant par-delà les bruits des grandes villes, baisse de la pollution atmosphérique... Cette période nous aura fait renouer avec une forme de pureté environnementale.

Mais il n'y a pas de quoi rêver cependant. "Tout cela est surtout la preuve que le problème principal reste l'activité humaine : dès que l'on s'arrête, quelque chose qui génère plus de sens revient", analyse Vincent Verzat, vidéaste activiste de 28 ans et créateur de la chaîne YouTube "Partager c'est sympa".

"En somme, cela témoigne surtout de la constance humaine : repousser la présence de la Nature au point de la faire disparaître", déplore le jeune homme, pour qui cette "reprise de droits" n'est pas vraiment (qu')une bonne nouvelle. Un constant nuancé par Marie Toussaint. Pour la militante écologiste, cofondatrice de l'association Notre affaire à tous et instigatrice de l'emblématique campagne L'Affaire du siècle, ce revival naturel démontre que "la nature est toujours en capacité de se 'réparer' si tant est qu'on lui laisse de l'espace et du temps".

Mais l'espace et le temps sont encore des denrées rares. La preuve ? De récents événements en témoignent, comme l'évacuation par la gendarmerie de la ZAD de Brétignolles-sur-Mer. Le confinement n'a pas été de tout repos pour la militance écologiste. "C'est comme si l'on prévoyait un 'monde d'après' différent mais avec les mêmes pratiques... et en pire !", déplore Marie Toussaint. Raison de plus pour se mobiliser. Oui mais comment ?

De nouvelles formes de mobilisation ?

L'engagement écolo ne s'est pas limité ces derniers mois à l'organisation digitale de la "Journée de la Terre" ("Earth Day") les 22 et 24 avril derniers, cet événement international déployant une variété de concerts "online" de la part de nombreux artistes. Non, la militance s'est également écrite au gré des foyers anonymes. Car quand les mobilisations massives sont interdites, une façon d'agir demeure malgré tout : la consommation. Et celle-ci ne s'est heureusement pas limitée aux razzias de pâtes et de papier toilette.

"On a pu observer une popularité du manger local, une explosion de l'alimentation bio", explique Marie Toussaint, pour qui ce constat suggère une réelle prise de conscience. "Les gens ont compris que l'on ne pouvait plus uniquement faire reposer nos besoins essentiels sur la mondialisation, qu'il fallait trouver une autre manière de 'vivre bien' tout en limitant les déplacements et les échanges", détaille-t-elle. Entre les lignes se noue un besoin, celui de retrouver une forme de suffisance alimentaire.

"Notre premier pouvoir est la consommation, c'est notre premier moyen d'action, bien plus encore qu'un hashtag", affirme en retour la blogueuse écologiste Mélanie Mâge. Pendant cette période de confinement, la créatrice du site Consommactrice, consacré aux questions d'environnement et de solidarité, a pu le constater : les gens "qui avaient déjà une petite sensibilité écolo" se sont mis à consommer autrement. Et intelligemment. Et pas simplement pour s'alimenter. "Il s'agit plus globalement de questionner ce que l'on achète et qui a un impact sur notre environnement, comme la fast fashion [la mode consommée massivement, ndrl]", nous dit-elle.

Or pour la journaliste et autrice Pascale d'Erm (Natura, Soeurs en écologie, Se régénérer grâce à la nature), le militantisme est plus "incarné" lorsqu'il se déploie de façon locale. C'est notamment le cas au sein du collectif SuperLocal, composé d'activistes qui agissent pour lutter contre les projets polluants. Derrière l'initiative, une soif de justice sociale mais aussi de mutualisation.

"C'est la même logique qu'exprime la question majeure de la protection des forêts, dont la destruction s'est par ailleurs poursuivie ces derniers mois : on est loin de l'Amazonie alors c'est dur d'agir à notre humble niveau. Donc on doit se rendre compte que des forêts sont également détruites à l'autre bout de notre jardin, sous nos yeux", explique l'experte, pour qui il convient "d'être là où les dégradations se font". Un rapport entre engagement concret et solidarité de proximité, bien mis en valeur durant cette période d'isolement généralisé.

Et ce rapport de proximité ne se limite pas à la confection du pain-maison. Non, cet état d'esprit est plus large que cela, à en croire le vidéaste de Partager c'est sympa. "On a davantage compris que rien ne nous obligeait à acheter le dernier truc à la mode et que cela ne rendrait pas notre vie plus difficile", explique Vincent Verzat.

Autrement dit, quand les allers-retours au supermarché sont limités, on en oublie quelque peu nos réflexes consuméristes. Le jeune homme a observé cette réelle introspection citoyenne, notamment traduite par un sondage du journal Libération évoqué dans cette vidéo : d'après l'enquête, 69 % des français jugeraient nécessaire de ralentir le productivisme et la recherche perpétuelle de rentabilité. Un brin de bon sens ?

"Est-ce que les gens ont retenu une leçon à toute cette situation ? Pour moi, c'est variable. Mais en tout cas, je crois que les personnes qui étaient déjà sensibilisées aux enjeux écologistes le sont encore plus, et sont désormais convaincues de la possibilité d'un changement drastique et radical de notre société", s'enthousiasme le vidéaste militant. Ou quand une crise conforte nos envies d'évolution.

Ou de révolution.

Vers un monde d'après plus vert ?

Des oiseaux observés à Paris en plein confinement.
Des oiseaux observés à Paris en plein confinement.

Mais malgré ces militances qui perdurent, ce "monde d'après" si glosé suscite peu d'espoirs. Et c'est "l'avant" qui nous le suggère. Rappelez-vous : suite à la crise financière de 2008, les émissions de gaz à effet de serre avaient finalement augmenté de 3,4 %. Lorsque un système se met sur pause, c'est toujours pour mieux redémarrer. Si l'on a pu constater ces derniers mois une baisse des émissions de CO2 de 6%, qu'en sera-t-il donc demain ?

"Cette baisse s'est faite de manière totalement désorganisée et subie. Selon les scientifiques il faudrait cela chaque année pour réagir à la crise climatique. 'L'anormalité' que l'on a vécu devrait donc être la normalité. Or j'ai peur que la réaction automatique à un choc soit l'envie d'un retour à la normale... alors que c'est le pire que l'on puisse souhaiter", décrypte Vincent Verzat. A l'écouter aujourd'hui, ces évolutions observées prouvent "que l'industrie et le productivisme sont le problème, et pas ce choix de faire pipi sous la douche ou non".

Hélas, les lendemains qui chantent ne seront pas forcément moins industriels. Et pourtant, il y aurait tant à faire pour façonner un nouveau monde, un meilleur monde. A l'heure où les déplacements et les habitudes alimentaires ont pu être bousculés, on pourrait par exemple envisager de limiter les activités polluantes en interdisant les vols courts courriers et en limitant l'usage des engrais chimiques et pesticides, suggère Marie Toussaint.

Et concevoir cette curieuse période de crise comme une opportunité : celle d'enfin interroger "quels sont les impacts réels d'une relance de production sur les producteurs et consommateurs", poursuit l'activiste.

 

En somme, redessiner les circuits. Et se rappeler que, loin d'être périphérique, la question climatique mène à tout. Pascale d'Erm l'envisage d'ailleurs comme un enjeu multiple, pluridisciplinaire. Elle nous l'explique : "Essayer de réduire son taux de carbone, ses déplacements, permet de se nourrir et de cuisiner autrement, cela a donc des bénéfices sur la santé et la convivialité. Quand en écologie on s'attaque à un problème, on en règle tout un tas d'autres. Les enjeux écologistes esquissent des cercles vertueux et donnent un sens à ce que nous faisons même si nous ne le comprenons parfois qu'après". Espérons "qu'après", ce ne soit pas trop tard.

"Aujourd'hui, on est encore à la croisée des chemins, constate encore Marie Toussaint. Il y a des tensions entre les productivistes, qui veulent reprendre le cours normal des choses (voire l'empirer !) et des choix résolument écolos. Or, il faut respecter les droits de la nature et rappeler que les lois économiques ne leur sont pas supérieures".

Une piqûre de rappel que ne semble pas prendre en compte le gouvernement chinois. Comme le déplore le média économique L'Echo, ce dernier compte bien injecter 7000 milliards de dollars dans son "plan de relance". Un budget conséquent. Mais parmi les 22.000 projets qui constituent cette initiative colossale, "aucun d'entre eux ne se focalise sur les énergies renouvelables [ou sur] l'existence des objectifs climatiques". Las.

D'autant plus triste quand l'on sait que la réouverture massive d'usines à charbon "pourrait faire augmenter la température mondiale de deux degrés", s'alarme Vincent Verzat. Des usines aux consommateurs, "l'après" oscille entre grandes espérances et retour à "l'anormal". "J'ai beaucoup de gens autour de moi dont la seule envie est de reprendre l'avion. Ils ne comprennent pas encore que leur seule façon de consommer est déjà un pouvoir. On a beau dire que 'la nature reprend ses droits', on risque de repartir de plus belle", s'attriste Mélanie Mâge.

Raison de plus pour ne pas cesser de protester.