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"House of the Dragon" sera-t-elle plus féministe que "Game of Thrones" ?
Publié le 23 août 2022 à 18:33
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
On avait reproché à "Game of Thrones" son traitement problématique des violences faites aux femmes. Avec trois hommes à sa tête, son préquel, "House of the Dragon", parviendra-t-il à éviter les écueils de la série originale ?
"House of The Dragon" sera-t-elle plus féministe que "Game of Thrones" ?
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Westeros était-il plus progressiste 172 ans avant Game of Thrones ? C'est l'une des grandes inconnues que pose le préquel House of the Dragon, qui nous plonge dans la guerre civile des Targaryen, la "maison" de la désormais cultissime Daenerys. Un projet ambitieux et forcément risqué. Durant huit saisons, Game of Thrones aura réussi à façonner un univers unique, fait de fer, de fesses, de boobs et de sang. Une fresque medieval fantasy monumentale aussi fascinante que controversée. Car sa brutalité lui a maintes fois été reprochée. Parmi les critiques récurrentes, un male gaze omniprésent, objectifiant les personnages féminins (26 % des actrices y apparaissaient nues contre 11 % des acteurs, selon la passionnante étude réalisée par les deux démographes Lucas Mélissent et Romane Beaufort) ou encore des scènes de viols érotisées (Jaime et Cersei) ou complaisantes (le viol de Sansa lors de sa nuit de noces).

Des observations balayées d'un revers de main par ce bon vieux George R. R. Martin, l'auteur de la saga, avançant dès 2014 un argument bancal à souhait pour justifier la banalisation problématique des violences faites aux femmes : "Le viol et la violence sexuelle ont fait partie de chaque guerre jamais combattues, depuis les Sumériens jusqu'à nos jours. Les omettre d'un récit centré sur la guerre et la puissance aurait été fondamentalement faux et malhonnête."

Une défense irrecevable. "L'argument le plus récurrent est que l'intrigue se développe dans un univers fantaisie médiévale. On retrouverait ainsi à l'écran la réalité du 'Moyen-Âge '. Or, on voit des dragons et des Marcheurs Blancs sans que cela ne choque personne", répliquent les démographes Lucas Mélissent et Romane Beaufort. "Par contre, quand on dit que les personnages féminins pourraient avoir des rôles similaires à ceux des hommes, on nous répond que le scénario doit se tenir à ce qu'il se passait à cette époque."

Et c'est là toute l'ambiguïté de ce monstre pop : les héroïnes de Game of Thrones ont été férocement rudoyées durant huit saisons tout en intégrant le panthéon de l'iconographie badass. Car si la série a montré des personnages féminins chevauchant des dragons, prenant la tête d'armées, zigouillant les affreux Marcheurs Blancs, ferraillant sur les champs de bataille ou filoutant pour accéder au trône, cet empowerment de façade ne pouvait complétement faire oublier la reproduction des stéréotypes sexistes.

"Pour moi, il n'y a pas de personnage vraiment féministe dans Game of Thrones. Même quand Daenerys prend le pouvoir, il y a juste une inversion des codes. Un personnage féministe, c'est celui qui révolutionne la manière dont on voit le pouvoir. Or la série ne fait que reposer sur un pouvoir extrêmement traditionnel", décrypte ainsi Iris Brey, spécialiste de la représentation du genre dans les séries et autrice du Regard féminin.

"En France, on ne qualifie pas notre société de féministe juste parce que quelques femmes deviennent ministres", abondent Lucas Mélissent et Romane Beaufort.

L'héroïne de "House of the Dragon", Rhaenyra Targaryen (Milly Alcock) © HBO
"Une perspective féminine" : vraiment ?

C'est donc peu dire que ce spin-off House of the Dragon est attendu au tournant. Et notamment sur ces problématiques brûlantes qui traversent une ère post-#MeToo. Devançant toute tentative de polémique, George R. R. Martin a de nouveau dégainé sa rhétorique favorite : "Je ne pense pas que Westeros [le continent imaginaire de Game of Thrones, ndlr] soit particulièrement plus anti-femmes ou misogyne que la vraie vie ou que ce que nous appelons l'Histoire". De quoi d'ores et déjà tiquer ?

Autre motif d'inquiétude : les créateurs du show n'ont pas caché avoir décidé de répliquer la formule éprouvée lors des huit saisons de GoT. A un détail près.

"Il semble très important que, si l'on veut évoluer au-delà de Game of Thrones, il faut d'abord le respecter. Et puis ça a marché, alors pourquoi essayer de le réinventer ? Mais se contenter de reproduire la série originale ne rendrait pas du tout service à l'histoire, car nous avons ce qui est effectivement une sorte de soap-opera. La perspective est ce qui diffère, dans la mesure où c'est une perspective féminine."

Voilà donc l'argument-massue des deux showrunners, Ryan Condal et Miguel Sapochnik : brandir leur nouvelle héroïne, la très indépendante princesse Rhaenyra Targaryen, comme étendard féministe. Oubliant sans doute qu'une "perspective féminine" n'est pas seulement narrative : elle est aussi (et surtout) cinématographique. Un regard se nichant dans chaque plan, chaque choix de montage afin de livrer l'expérience féminine avec acuité, au plus près de sa réalité. De fait, arguer qu'une histoire est racontée d'un point de vue féminin lorsque toute l'équipe aux manettes s'avère masculine ne manque pas de sel.

"C'est une phrase très drôle dans une interview de deux hommes, menée par un homme, à propos d'une série créée par deux hommes, basée sur le livre d'un homme", ironise d'ailleurs l'autrice féministe Roxane Gay sur Twitter.

Le culot est d'autant plus impressionnant qu'en 2019, HBO, alors pleine de belles intentions, avait choisi une équipe féminine de choc pour son projet de préquel. Aux commandes, la showrunneuse Jane Goldman (scénariste de Kick-Ass et Kingsman) et un pilote de 30 millions de dollars tourné par la réalisatrice S.J. Clarkson (Jessica Jones, Orange is the New Black). Une première mouture finalement avortée. "Je pense que Jane a fait un travail formidable, c'était un défi mais je ne pouvais rien pointer pour dire que quelque chose ne fonctionnait pas, c'est juste que globalement, ça ne prenait pas", avait alors justifié Casey Bloys, le directeur des programmes de la chaîne. Ballot.

Un accouchement en guise d'amuse-bouche

Avec le retour d'un trio créatif testostéroné à sa tête (comme Game of Thrones), House of the Dragon s'aventure-t-elle à reproduire les mêmes erreurs que la série-mère ? Les déclarations des showrunners concernant les futures scènes dépeignant les violences faites aux femmes ne sont pas franchement rassurantes. "Nous n'avons pas peur de cela", a avancé Miguel Sapochnik. "Si quoi que ce soit, nous allons faire la lumière sur cet aspect. Vous ne pouvez pas ignorer la violence perpétrée sur les femmes par les hommes à cette époque. Il ne faut pas la minimiser et il ne faut pas la glorifier".

Et de fait, le pilote de la série, diffusé ce 21 août sur HBO, a d'ores et déjà ouvert le grand bal du gore gratis avec une scène d'accouchement particulièrement cauchemardesque- bien qu'éloquente dans un contexte "post-Roe" où une poignée d'hommes a décidé de prendre le contrôle du corps des femmes.

"Au cas où vous n'auriez pas encore vu House of the Dragon : EXTRÊMEMENT GRAND AVERTISSEMENT DE DÉCLENCHEMENT pour une scène de naissance très violente et traumatisante", alerte une internaute sur Twitter. "Quand je dis 'violente', je ne veux pas dire "graphique" ou 'intense', je veux dire 'la violence littérale est perpétrée contre une personne dans le contexte de son accouchement'".

"Après les scènes de "sexposition" de GoT, le pregnancy torture porn de House of the Dragon : you know nothing, Miguel Sapochnik", raille de son côté l'autrice de La charge sexuelle Clémentine Gallot.

Le co-créateur et réalisateur de la scène incriminée, Miguel Sapochnik, a justifié la brutalité de la séquence dans une interview au Hollywood Reporter qui fleure bon le mansplaining : "Nous avons pensé que c'était une façon intéressante d'explorer le fait que pour une femme à l'époque médiévale, donner naissance était une violence. C'était extrêmement dangereux. Vous aviez une chance sur deux de vous en sortir. Beaucoup de femmes n'y arrivaient pas. Si on leur donnait le choix, le père choisissait l'enfant plutôt que la mère, car une césarienne pouvait vous tuer. C'était une partie extrêmement violente de la vie."

Ironie de l'histoire : les deux showrunners ont confié à Popsugar avoir "testé" la scène auprès "du plus grand nombre de femmes possible", leur demandant d'en évaluer la violence. "Et à l'unanimité, la réponse était non. Souvent, la réponse était : 'Non, au contraire, il faut que ce soit plus violent'". Et d'avertir que d'autres naissances étaient au programme de cette saison 1. "Nous avons donné des thèmes aux naissances, et le thème de cette naissance était la torture. Puis il y a une naissance où le thème est l'agonie et l'extase. Il y a une naissance où le thème est l'impasse, et il y a une naissance où le thème est une bataille. Nous essayons donc de les regarder de différentes manières."

Parce qu'après tout, qui mieux qu'un homme pour "regarder" une naissance ?

Accrochons-nous cependant à la promesse de la scénariste et productrice exécutive Sara Hess dans Vanity Fair. Evoquant une scène de violence sexuelle, elle tease : "Nous traitons ce cas hors écran, et montrons plutôt les conséquences et l'impact sur la victime et la mère de l'agresseur." Voilà qui constituerait déjà un changement majeur. Et la scénariste d'assurer que House of the Dragon choisissait de se "concentrer sur la violence contre les femmes qui est inhérente à un système patriarcal."

Sans occulter la violence de Westeros et puisque la mise en scène de la souffrance féminine semble être devenue un gimmick des showrunners, celle-ci sera-t-elle examinée et questionnée ? Et donnera-t-on à ces nouvelles héroïnes assez d'espace pour bousculer tout ce petit monde imprégné de masculinité toxique sans se vautrer dans les clichés protoféministes ?

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