Dimanche soir. Le film suit son cours. Mais soudain, les protagonistes (un homme, une femme, la plupart du temps) s'embrassent. S'enlacent. Se déshabillent - mais pas trop - à la hâte, puis font l'amour, de façon plus ou moins expéditive. Ongles qui agrippent la peau, yeux au ciel, corps qui s'agitent, gémissements, râle sonore en guise de conclusion. Enfant ou ado, on a toutes et tous vécu cet instant de malaise face à ces coïts fougueux qui venaient ponctuer une banale soirée en famille. Des années plus tard, la gêne n'est plus là, reste la curiosité : ces scènes d'amour que l'on a pu découvrir ado, et celles d'aujourd'hui, sont-elles si réalistes que cela ?
Pas sûr. Pas sûr du tout, même. C'est ce que nous démontre une passionnante enquête récemment mise en ligne sur le service de consultations médicales Zava, s'attardant sur les scènes "chaudes" d'une cinquantaine de films, de Titanic à Sexcrimes, de Shakespeare in Love à Dirty Dancing, Liaison Fatale et Mr & Mrs Smith. La liste est visible ici. En parallèle, un sondage d'opinion organisé par le cabinet de conseil Censuswide et la Market Research Society a été soumis à plus de deux mille citoyen·n·es britanniques. L'idéal pour comparer la fiction au réel sous couvert de sujets précis - l'orgasme, les préliminaires, les positions.
Les données qui en ressortent permettent de pointer du doigt ce qui cloche dans la représentation "mainstream" du sexe. Et surtout, de comprendre ce qui différencie les pratiques des spectateurs et spectatrices de leurs avatars de grand écran.
Si l'on vous dit "orgasme" et "ciné", il y une chance sur deux pour que les images de Quand Harry rencontre Sally émergent : cette Meg Ryan qui, en plein café new-yorkais, simule le grand frisson. Ironiquement, c'est cela qui ressort de la représentation de l'orgasme féminin dans les films : du fake. À l'écran, deux femmes sur cinq (à savoir 39% des personnages féminins étudiés) s'envolent au septième ciel contre une sur cinq (19%) dans la vraie vie. Près du quart des citoyennes interrogées (24%) ont admis qu'elles n'avaient jamais eu d'orgasme pendant leurs rapports sexuels. De quoi susciter une forme de complexe : si les films me montrent cela, pourquoi "ça" n'arrive pas ? L'orgasme féminin est dépeint comme un point d'arrivée au trajet limpide. Un bouton sur lequel l'on appuierait. Automatique.
Paradoxalement, les films les plus "pop" nous suggèrent à la fois que l'orgasme féminin a toutes les raisons d'advenir, ou, si ce n'est pas le cas (comme dans Sexe Intentions, Infidèle, Troie, Liaison Fatale) que cela n'est, au fond, pas si grave : les râles masculins feront l'affaire.
D'ailleurs, 30% des films analysés nous montrent des couples en train de grimper aux rideaux... à l'unisson. Rien de tel pour accepter l'idée selon laquelle un homme qui jouit = une femme qui jouit. Dit comme cela, c'est mathématique. Or, si l'on compare cette théorie au réel, cette vision, c'est de la science-fiction : 77% des hommes sondés déclarent avoir joui à chacun de leur rapport sexuel, contre 19% des femmes.
A force de baigner dans une culture mainstream, on oublie trop facilement ce qui manque à tous ces films que nous connaissons par coeur comme Top Gun, N'oublie jamais ou Pretty Woman : des préliminaires ! Bien trop souvent, les prélis sont portés disparus. Le sexe normé du cinéma hollywoodien est obsédé par la pénétration, points A et Z d'une courbe du plaisir essentiellement phallocentrée, où compte avant tout l'éjaculation - qui ne sera jamais montrée. Ainsi, sur une cinquantaine de films étudiés, seulement 27% des personnages se livrent à des caresses et autres délices pré-coïtium.
Un véritable décalage. Car en dehors de l'écran, 69% des sondé·e·s déclarent en procurer et en recevoir. L'étude nous révèle également que 57% des plus de 50 ans assurent les préliminaires, contre seulement 27% des 25-34 ans. Et oui, comme le dit le site de Zava, ce ne sont pas forcément les dernières générations "qui s'amusent le plus longtemps dans la chambre à coucher".
Si la pénétration l'emporte sur les bisous bien placés, les jeux coquins ou le cunnilingus, c'est parce qu'elle correspond à une vision très porn-friendly du sexe. Des images qui, théorise le psychiatre Ravi Shah chez Refinery29, alimentent chez les hommes et les femmes "l'anxiété de la performance sexuelle". Cette faible estime de soi partagée par les genres éclot des "attentes irréalistes" engendrées par le X.
Si l'orgasme féminin ne répond pas toujours présent dans les films, on peut toutefois compter sur le point G. G, comme galvaudé. Galvaudée, cette représentation du sexe qui se limite dans la majorité des cas au missionnaire. Galvaudées, ces câlinades abracadabrantesques qui passent pour crédibles. Comme la Margot Robbie dont l'apparition en tenue d'Eve suffit dans Le Loup de Wall Street à provoquer - adieu les prélis - un coït immédiat.
"Pour moi, ce serait sûrement gênant dans la vie réelle. Le sexe spontané est irréaliste. J'ai toujours besoin de planifier", commente une spectatrice chez Refinery29, voyant en ce "sexe spontané" l'influence directe des films pornos. C'est comme si faire l'amour était aussi instantané qu'une commande UberEats. Tout aussi absurde est la fameuse scène de love de Titanic. Vous savez, cette main délicate que plaque Rose contre la vitre embuée de la voiture, avant le grand naufrage. "Le sexe en voiture, ça ne se passe pas comme ça. L'équation sièges en cuir + sueur = grincements, glissements et brûlures !", s'amuse à l'unisson l'experte en sexualité Lotte Morrison.
"C'est du sexe sans communication, comme si le partenaire lisait dans l'esprit de l'autre et savait ce qui fonctionnait ou non. En réalité, le sexe peut être désordonné et maladroit. Les orgasmes n'ont pas toujours lieu, et s'ils le sont cela peut prendre du temps, en particulier pour les femmes. Une représentation différente est importante car elle ouvre le dialogue sur ce que sont les réalités du sexe", développe la doctorante en sexualités Caroline West, de la Dublin City University. Galvaudé enfin, est cet imaginaire du désir qui, sur les cinquante films passés au peigne fin, s'enferme bien trop souvent dans la chambre à coucher (l'autel des parties de jambes en l'air) et nous présente, à raison de 34% (soit plus d'un tiers) des mecs qui font l'amour en gardant leurs chaussettes. C'est non.
Bref, s'il a volontiers pu nourrir nos fantasmes, et occuper une place non négligeable dans la construction de notre sexualité, le cinéma mainstream n'est pas vraiment le meilleur guide d'éducation sexuelle. Une dernière preuve ? Seules 2% des scènes de sexe analysées impliquent des relations protégées. Autrement dit, le préservatif est le grand absent du cinéma tradi. Fort heureusement, 20% des Britanniques interrogé·e·s déclarent l'utiliser lors leurs rapports, et 32% employer des moyens de contraception comme la pilule. Missionnaire partout, capote nulle part...
Cependant, au-delà du fait que la représentation du sexe à l'écran ne s'arrête pas à la - très - non-exhaustive liste valorisée par le sondage, tout n'est pas si négatif. Oui, les films regorgent de séquences codifiées et hétéronormées, dépassant rarement le cadre des deux positions majeures (missionnaire et levrette), impatients quand il s'agit de dépeindre les préliminaires. Des visions réductrices de tout ce que sous-entend un "rapport sexuel", de ce qui le précède à ce qui suit... C'est le cas dans des films comme Skyfall, Shakespeare in Love, Risky Business, offrant tous, malgré la divergence de leurs discours, une représentation relativement similaire du sexe (hétérosexuelle, de nuit, en intérieur, avec une amante qui conserve ses sous-vêtements). Mais les images neuves ne manquent pas dans les fictions d'aujourd'hui.
Des séries à succès comme Sex Education en sont la preuve. En s'adressant à la génération Netflix, elles font la part belle à une sexualité plus diversifiée. Et aux thématiques encore tabous qui lui sont relatives, comme le vaginisme par exemple, sujet encore trop absent des films que l'on mate... et des cours d'éducation sexuelle. "Cette série est le parfait exemple d'une industrie du divertissement qui cherche à être plus réaliste et représentative", s'enthousiasme en cela Caroline West. Des dernières productions indés aux shows les plus irrévérencieux (Fleabag, The end of the fucking world, American Honey, Ladybird), la docteure se réjouit des alternatives qui s'offrent désormais à nous : des scènes de sexe non conventionnelles et sans filtre, pensées par des femmes (autrices, réalisatrices, productrices) et propices à générer "des conversations sans jugement sur des formes plus nuancées de plaisir". C'en est peut-être fini de cette main plaquée sur une vitre embuée...