Nombreuses sont les attentes suscitées par le The Batman de Matt Reeves, en salles ce mercredi 2 mars 2022. Une vision ambitieuse de l'homme chauve-souris qui promet d'être encore plus dark, assurée par un Robert Pattinson apparemment parfait en milliardaire emo. Mais une autre figure monopolise l'attention : Catwoman, interprétée par une Zoe Kravitz très impliquée dans ce rôle. Et il est aisé de deviner pourquoi.
Au fil de ses interprétations, de Michelle Pfeiffer à Anne Hathaway, ce personnage a fait montre d'une complexité certaine. Parfois résumée au simple statut de fantasme sur pattes, plus largement exploitée sous ses atours badass, la femme féline ne cesse de fasciner par son côté paradoxal.
A la fois alliée et ennemie de Batman, c'est une figure ambiguë sans cesse enrichie depuis sa première apparition, dans le comic book Batman #1 de Bill Finger et Bob Kane. Autrement dit, cela fait 80 ans déjà que la femme-chat bondit d'une époque à l'autre sans se démoder. Focus.
Dès sa création en 1940, Catwoman est une femme fatale. Un personnage mystérieux qui fait tourner les têtes, têtes qu'elle malmène volontiers avec ses ripostes physiques. Cambrioleuse et fugitive, mais aussi justicière à sa façon, la femme-chat oscille entre le bien et le mal sans jamais vraiment choisir son camp. A l'image de Batman finalement, super-héros aux nombreuses zones d'ombre et au récit dramatique à souhait. Ses nombreuses réincarnations démontreront le peu d'estime que voue la société aux femmes insoumises.
Dans Batman le défi (Tim Burton, 1992), Michelle Pfeiffer interprète la plus aboutie des Catwoman : insaisissable, libre, intelligente, violente. Indépendante, elle détourne à la négative l'hymne de Tina Turner, I Need a Hero. Dans son ancienne vie, celle de Selina Kyle, cette jeune employée timide était assommée par les injonctions à la féminité. Aujourd'hui, elle n'a besoin d'aucun prince pour la délivrer.
Assassinée par le businessman Max Shreck, cette ancienne secrétaire ressuscite en féline (aux neuf vies, c'est bien connu) pour mieux se venger d'un monde où la masculinité se fait monstrueuse, névrosée ou meurtrière. "Ce film parle de l'empowerment de Selina Kyle, secrétaire maladroite qui en se transformant en Catwoman, prend conscience de sa manière d'être, de son corps, se réapproprie sa féminité et en fait un pouvoir". résume à ce titre l'autrice et blogueuse Sophie de Tout est politique.
Toute de cuir vêtue, Catwoman attire le regard masculin pour mieux botter les fesses des mâles en rut. On la traite volontiers de "garce" et "d'allumeuse", elle rétorque par des coups de griffes et de bottes bien placés. Pour le Pingouin, bad guy à l'histoire tragique et aux manières libidineuses, Catwoman ne serait autre que "la Belle et la Bête réunies en un succulent cadeau de Noël". Signe de son ambivalence : elle serait à la fois un emblème glamour et une aberration, une source de désir et un cadeau... empoisonné.
C'est cette richesse qui fait sa force. Zoe Kravitz, qui avait déjà prêté sa voix au personnage dans le film animé Lego Batman (2017), l'a bien compris. Au réalisateur Matt Reeves, elle a affirmé après lecture du script sa volonté de penser ce personnage "non pas en tant que Catwoman, mais en tant que femme, s'assurer de ne pas fétichiser ce rôle ou de créer un stéréotype".
Comme l'avait démontré Michelle Pfeiffer par le passé, Catwoman n'est pas qu'un personnage féminin sexualisé. Pour Kravitz, c'est avant tout "une vraie personne", plus qu'un personnage.
Une complexité dont rend également compte Anne Hathaway, qui interprète la féline dans The Dark Knight Rises (2012), dernier opus de la trilogie de Christopher Nolan. Ici, Selina Kyle est une cambrioleuse qui se complait avec aisance dans les jeux de masques, manipulations diverses prenant notamment au dépourvu Bruce Wayne.
Brillante, elle est également badass à souhait, envoyant valdinguer le moindre énergumène au dos de sa moto. Le pauvre Bane en sait quelque chose. Bien du chemin a été parcouru depuis la série Batman des années 60, bijou de kitsch où Catwoman vivait au gré des performances (savoureuses cependant) de Julie Newmar et Eartha Kitt. Depuis, le personnage a gagné en épaisseur. Moins second couteau que protagoniste, sa force émotionnelle est indéniable. On peut s'attacher à elle, voire s'identifier.
Cependant, nuance et complexité ne sont pas toujours au rendez-vous lorsque les hommes imaginent Catwoman. Il suffit pour s'en convaincre de (re)voir – pour les plus masochistes - le Catwoman de Pitof (2004), où le personnage-titre, incarné par Halle Berry, sombrait à pleines coutures dans la fétichisation décomplexée. Face à une Sharon Stone machiavélique, Catwoman incarnait avant tout la femme à l'attitude animale, sauvage et sexy, sans que cette facette-là ne soit jamais vraiment renversée en force. Bref, un fantasme de plus aux pas très discrets relents de male gaze.
Aujourd'hui, Zoe Kravitz voue d'autres ambitions à cet alter-ego fictif. Par exemple ? Ne pas sexualiser le personnage, mais lui rendre sa sexualité. On l'ignore trop, mais Catwoman est bisexuelle. Et c'est justement ainsi que l'a envisagé Zoe Kravitz, qui a fait un coming out lesbien remarqué l'an dernier. Dans le long-métrage de Matt Reeves, Selina Kyle entretiendrait une relation avec une autre femme, dénommée Anika.
"C'est définitivement comme ça que j'ai voulu l'interpréter. Je voulais que le personnage de Selina et celui d'Anika aient une sorte de relation amoureuse, une puissante bienveillance, un amour profond. Pas simplement quelque chose de sexuel, mais une vraie relation intime", a témoigné l'actrice en interview.
La recherche de complexité du personnage passe aussi par cette exigence émotionnelle, qui l'humanise plus qu'elle l'animalise. S'y attarder, c'est aussi comprendre la part de vulnérabilité qui caractérise également sa psychologie.
Depuis des décennies, Catwoman se faufile d'une série de comic books dédiée à une autre, et apparaît dans une grande partie des jeux vidéo Batman. Sans parler des nombreuses séries d'animation et autres séries télé - comme la production FOX Gotham. Peut-être car, à l'instar d'Harley Quinn ou Poison Ivy, elle incarne ce que les fans de l'homme-chauve souris viennent chercher dans cet univers : une ambivalence certaine, une once de mystère gothique, un petit quelque chose qui dérange notre faculté à dissocier les gentils des méchants.
Une exigence d'écriture qui a aisément érigé le personne en véritable emblème féministe. Et ce n'est certainement pas la performance de Zoe Kravitz qui viendra changer la donne.