Le "slow living" cartonne et on comprend pourquoi

Publié le Vendredi 16 Avril 2021
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Le slow living, un art de vivre séduisant.
Le slow living, un art de vivre séduisant.
Philosophie du quotidien, mode de vie, manière de consommer, tendance éclatante sur les réseaux sociaux... Le "slow living" est tout cela à la fois, et il est partout en temps de pandémie, d'Instagram à YouTube. Retour sur un véritable phénomène.
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Slow living. Deux mots désormais familiers à un grand nombre d'utilisateurs de YouTube, Instagram ou encore Pinterest. Derrière ce "mode de vie ralenti" et le hashtag éponyme, tout un imaginaire fait de thé chaud que l'on verse dans des tasses, de jardins fleuris, de maisons cosy, de musique-détente...

Etre dans la "vie lente", c'est savourer les instants les plus doux, étendus et éphémères. Comme un échappatoire poétique à une société accélérée où tout doit se voir, se faire et se vivre rapidement et abondamment. A l'origine, le slow living est un mouvement social, qui serait né dans l'Italie des années 80 sous l'impulsion de militants mobilisés face à l'émergence de la restauration rapide, et notamment des McDonald's locaux.

Élan de contestation citoyenne initialement érigé en réaction au règne jugé néfaste des fast-foods, il est devenu au temps de la pandémie de Covid 19 une nouvelle tendance globale sur les réseaux sociaux. Au fil des plateformes, le slow living renvoie volontiers au courant écolo tout aussi populaire du cottagecore (cet imaginaire qui idéalise la campagne, son authenticité, ses métiers et sa beauté) et à sa glamourisation de la "vie d'avant" - sans "esprit d'entreprise", villes bruyantes, discussions instantanées et pollutions diverses.

Un phénomène qui fascine. Et si on s'y mettait ?

Un art de vivre séduisant

Le slow living, explique Vanilla Papers, a connu un grand regain de hype en un an. Il a suffi d'une pandémie, et des confinements qui s'ensuivirent, pour éveiller les consciences. Il faut dire que si l'on résume le boom admirable de certaines pratiques (déjà familières), tout nous y renvoie. Préparer son pain maison ? Slow living. Dédier des heures à la confection de puzzles ? Slow living. Rêver d'évasions revigorantes à la cambrousse, loin, si loin de nos appartements confinés ? Slow living encore.

Le slow living définit l'aspiration à une vie plus lente, douce, durable, et simple. Une simplicité qui embrasse un certain imaginaire populaire, fantasmé par les plus citadins. Cultiver son propre jardin (comme l'énonçait Candide), chouchouter son potager, envoyer valdinguer smartphones et applis au profit d'un retour à "l'essentiel" - fusse-t-il résumé à une tasse de thé fumante que l'on prend le temps de savourer...

Tout cela est "slow living" à souhait, comme le suggèrent les myriades de photos générées par l'un des hashtags de la tendance, #theartofslowliving. Un mot clé qui a déjà suscité plus de 3 millions de publications.

Car il faut croire que cette vie lente est tout un art. Ce ne sont pas les multiples vidéos YouTube qui décryptent le phénomène, consultées des centaines de milliers de fois et abondamment likées, qui viendront nous contredire. D'une vidéo explicative à l'autre, surviennent des images récurrentes : contemplation de panoramas, repos et tranquillité privilégiés au sein du foyer, musique apaisante, éloge des campagnes, bougies, café bien chaud...

Comme tout art, le slow living répond donc à certaines pratiques, artistiques, culturelles, créatrices, lifestyle. Et à la philosophique qui l'accompagne.

Un temps libre et riche de sens

Quelle philosophie ? Un état d'esprit à la fois optimiste et contestataire. Contestataire, car le slow living se définit comme un retour "intentionnel" et minutieusement réfléchi à une forme de tranquillité qui se serait égarée au sein de la société capitaliste. Y adhérer, c'est à la fois refuser le culte de la productivité largement banalisé dans les entreprises et la surconsommation normalisée par les supermarchés et centres commerciaux.

Le slow living est une forme de réaction directe et nécessaire à un monde bruyant et effréné, et à sa surabondance jugée dérisoire : surabondance de flux, de contenus et de paroles sur les réseaux sociaux, de productivité dans la "vie active", de produits alimentaires artificiels dans les magasins... Un trop-plein qui est celui de l'hyper modernité, caractérisée par son règne du fast - des fast-foods à la fast fashion. A ce titre, le retour de hype de la couture durant le confinement est un visage parmi tant d'autres du slow living.

Optimiste également, car cet état d'esprit met le doigt sur ce dont souffrent bien des anonymes aujourd'hui (un sentiment de perte de sens généralisé) et leur suggère qu'il est tout à fait possible de le retrouver, ce sens. Il suffirait de chambouler son emploi du temps, modifier ses habitudes, mais aussi sa perception des choses.

C'est tout du moins ce que mettent en avant les myriades de photographies et vidéos que le mot-clé suscite depuis un an sur les réseaux sociaux. Il n'est pas question de révolution, non, mais d'appliquer une nouvelle "routine", comme le démontre par exemple ce séduisant tutoriel. Mais quelle routine précisément ?

Des astuces à mettre en pratique

Mais alors, comment s'y mettre ? Voici quelques tuyaux : fuir la surcharge de travail autant que faire se peut, ne pas forcément répondre présent aux obligations sociales qui nous gonflent (pas trop de risques en ce moment), poser quelques heures durant smartphone et zapette de la télévision, calmer quelque peu ses lubies matérialistes en consommant moins - ou plus intelligemment, en privilégiant la durabilité à l'abondance.

Responsable des études de tendances internationales sur YouTube, Roya Zeitoune a forcément remarqué le succès retentissant des vidéos dites "slow living" sur la plateforme pop de vidéos. Après avoir observé la hype de ces longs tutoriels aux musiques relaxantes, elle en en a retiré, elle aussi, plusieurs recos : se préparer de bonnes tasses de thé ou de café d'abord, retrouver le temps long de la cuisine ensuite, "prétexte parfait pour profiter de l'instant présent", ou encore, s'adonner à des passe-temps "relaxants ou méditatifs", musique d'ambiance en fond.

Mais pas la peine de disposer d'une chic cuisine, d'un potager ou de levain pour se mettre au slow living. Le site lifestyle Beautiful Trends Today explique que ce mode de vie est avant tout une question d'attitude, de gestion relationnelle et, surtout, d'introspection. Pour commencer à le pratiquer, il faudrait d'abord analyser notre vie, déterminer ce qui nous angoisse, nous fait stresser ou nous pourrit la vie. Les relations toxiques, par exemple.

S'adonner à une existence ralentie consisterait à s'émanciper de cette toxicité en privilégiant son espace personnel, sain et sécurisé. Mais aussi à philosopher. "Si vous êtes anxieux chaque fois que quelque chose ne se passe pas comme prévu, vous devez probablement vous détendre et accepter le fait que la vie est imprévisible. De cette façon, vous apprécierez davantage chaque moment libre et spontané", conseille en ce sens le site.

Profiter de chaque moment "spontané" encore, en désactivant les bruits parasites des notifications de nos smartphones, en fuyant l'injonction à la sur-connexion permanente et à la distraction à tout prix, mais aussi en se laissant aller à quelques écoutes de musique classique (par exemple) pour respirer au rythme de la musique, sont autant de tips à appliquer. Un dernier ? Profiter des petits détails de la vie bien sûr, comme les couleurs du ciel, celles des fleurs disposées chez vous, ou la vue d'un coucher de soleil.

Bref, chouchouter un "temps libre" nécessaire, comme un bouffée d'air frais dans le brouillard environnant, mais aussi repenser tout ce qui précède et succède à cette récréation bienvenue. A défaut de trouver le bonheur, peut être jouira-t-on d'une forme plus nette et naturelle de satisfaction. Ce serait déjà ça. Qui sait ?