7 mantras de Lauren Bastide pour une lutte féministe révolutionnaire

Publié le Jeudi 10 Septembre 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Une marche de nuit du 8 mars 2020 lors de la journée internationale des droits des femmes à Bordeaux.
Une marche de nuit du 8 mars 2020 lors de la journée internationale des droits des femmes à Bordeaux.
Avec "Présentes", l'autrice Lauren Bastide, créatrice du podcast "La Poudre", délivre une ode aux révolutions féministes. Celles qui passent par les rues et les réseaux, l'espace public et la parole médiatique. Faire acte de présence, oui. Mais surtout : faire acte de résistance.
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C'est une couverture blanche imprégnée de violet - la couleur des luttes féministes. Un titre se déploie sur trois étages : PRESENTES. Inscrit comme un slogan, il pourrait recouvrir une pancarte de manif. De quoi donner le ton : sonore et sororal. Avec son premier livre, la journaliste Lauren Bastide, créatrice du podcast La poudre et co-cofondatrice du studio de production Nouvelles Écoutes, délivre un manifeste dédié à toutes ces voix minorées, discriminées, décrédibilisées. Un espace pour les laisser (enfin) résonner.

Les voix, ce sont celles des victimes de violences sexuelles et des femmes noires subissant un racisme systémique, des femmes musulmanes diabolisées par tous les "camps" et des personnes LGBTQ affrontant une homo, lesbo et transphobie trop ordinaire. Ces paroles, il faut les rendre "présentes". Dans les entreprises et sur les plateaux de télé, au devant d'un micro et d'un strapontin de politicienne, sur la Une d'un magazine et au centre d'un festival de cinéma. Car cette visibilité-là serait déjà une révolution.

C'est cette conviction qui anime l'ouvrage de Lauren Bastide, exigeant panorama des débats, figures, élans et indignations féministes qui secouent la société française post-#MeToo. Un livre "engagé et radical, accessible et convaincant", pour paraphraser son autrice. Et empli de mantras utiles pour mieux affirmer son engagement.

En voici sept.

Oser dire "Je"

C'est peut-être là l'intention première de cet ouvrage : oser dire "Je". L'occasion pour l'autrice de narrer à la première personne son parcours personnel et professionnel, de ses premiers pas dans le journalisme (au sein du féminin Elle) à l'éveil de sa conscience féministe. Un cheminement semé d'embûches et de doutes. Dire "Je", c'est se laisser aller à une forme d'introspection, avec tout ce que cela induit de remise en question et - donc - de déconstruction. (Se) raconter comme pour rappeler que l'on ne naît pas féministe, on le devient.

Ce "Je", on le retrouve des publications sur les réseaux sociaux - à la source des dernières grandes révolutions féministes - aux conférences TedX menées par des femmes inspirantes qui osent raconter leurs histoires. Mais en 2020, il ne va toujours pas de soi dans une société patriarcale. Pour Lauren Bastide, permettre aux femmes de dire "Je" est un enjeu d'actualité. Leur permettre de "parler, penser, dire, faire, bref, affirmer leur présence dans les lieux de l'espace public que sont les médias, la ville et la représentation politique".

"Énoncer soi-même son identité", dixit l'autrice, est déjà une émancipation.

Envoyer valser la "bonne féminité"

C'est quoi, la bonne féminité ? Explications de l'activiste féministe et musulmane Hanane Karimi : "C'est une féminité républicaine, séculière, citoyenne, qui s'oppose à la féminité valorisée au niveau religieux". Sont exclues de cette féminité conventionnelle les femmes voilées, par exemple. Car qui leur accorde la parole ? Qui les écoute ? La bonne féminité et la "féminité attendue" en France. La preuve que le racisme lui aussi est genré.

Envoyer valser cette injonction parmi d'autres, c'est rendre présent l'imprésentable - ce qui suscite polémiques et hantises, islamophobie et discours de chevaliers blancs déguisés en défenseurs des droits des femmes. Mais c'est aussi se rappeler, comme le suggère Lauren Bastide, que la notion de "bonne féminité" est plus globale qu'on ne le croit, et qu'elle correspond à bien des luttes de l'histoire des féminismes.

Exemple ? Cette sentence choc de la militante française Monique Wittig, qui écrit dans son ouvrage La pensée straight que "les lesbiennes ne sont pas des femmes". Comprendre, la "bonne féminité" est avant tout une féminité "sociale", puisqu'elle s'accorde aux principes de l'hétéronormativité, ce système à déboulonner. Et n'est surtout pas celle qui "remet en cause fondamentalement l'ordre de soumission aux hommes".

 

Aïssa Maïga, Camélia Jordana, Adèle Haenel au rassemblement de soutien à Adama Traoré à Paris.
Aïssa Maïga, Camélia Jordana, Adèle Haenel au rassemblement de soutien à Adama Traoré à Paris.

Défendre (toujours) la sororité

Elles sont nombreuses, les voix anonymes, à correspondre à cette "mauvaise féminité" - celle qui casse l'ambiance en soirée, vous savez. Raison de plus pour prôner la sororité. Et là encore, cela passe par un "Je" qu'il faut revendiquer. Oui : un "Je te crois". Ou "Je t'écoute". C'est là le coeur de cet essai fédérateur : insister sur la présence de celle et celui qui écoute, comprend et soutient. Un geste on ne peut plus nécessaire trois ans après les prémices du mouvement #MeToo, en cette année notamment marquée par le témoignage de la comédienne Adèle Haenel.

Cette sororité, elle passe par le féminisme intersectionnel. "Penser de façon intersectionnelle, écrit Lauren Bastide, c'est porter un combat féministe qui cherche à renverser tous les systèmes d'oppression systémique. C'est prendre en considération les oppressions qui s'entrecroisent avec le sexisme : racisme, homophobie, transphobie ou validisme (les discriminations qui s'exercent contre les personnes handicapées)".

Au creux de cette sororité qui résonne des réseaux aux rues, des mobilisations historiques dont les intitulés tissent déjà des liens : "Moi aussi", "Nous Toutes"... Comme une invitation à parler, relayer, scander.

Rendre (enfin) présentes

Que nous raconte ce Présentes qui recouvre la couverture ? L'importance de rendre visibles les voix féminines, féministes, marginales, transgressives. Où ça ? Dans l'espace public, politique, médiatique. Co-fondatrice des studios de podcasts Nouvelles Écoutes, Lauren Bastide y contribue à travers ses programmes, mais aussi ses tables-rondes organisées au Carreau du Temple, à Paris. Des discussions auxquelles ont déjà participé des personnalités emblématiques comme Rokhaya Diallo, Alice Coffin et Caroline De Haas.

Des audiences en public à l'enregistrement de podcasts comme La poudre, la même intention : donner la parole à des "femmes extraordinaires", et plus encore, "graver dans le marbre leurs accomplissements actuels, pour que personne ne puisse les effacer ensuite".

Accorder de la visibilité est une militance à ne pas négliger. Et ces dernières années, rappelle l'autrice, cet engagement a pris bien des formes, des tomes des Culottées, les best-sellers de Pénélope Bagieu, à la création de sites comme Expertes France, l'annuaire des femmes chercheuses, cheffes d'entreprises, présidentes d'associations ou responsables d'institutions. Sites, événements, associations et créations participent à un même mouvement : "l'urgence à dire le nom des femmes et à faire applaudir leurs accomplissements". Les rendre enfin présentes malgré le poids des paroles paternalistes.

A Paris, une marche contre les féminicides.
A Paris, une marche contre les féminicides.

Faire entendre et (faire) lire

On ignore encore si la révolution sera télévisée, mais elle est déjà largement bouquinée. "Tendez l'oreille. Ouvrez vos chakras et écoutez les récits des femmes qui m'ont inspiré la rédaction de cet essai", nous prescrit Lauren Bastide en guise d'introduction. Des récits, mais aussi des lectures. Car l'éveil féministe éclot aussi d'une bonne bibliothèque bien fournie. Présentes, en tout cas, est une invitation à encombrer nos étagères.

Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, On ne naît pas grosse de Gabrielle Deydier, Beauté fatale de Mona Chollet, Femmes, race et classe d'Angela Davis, Histoire d'une femme libre de Françoise Giroud, Trouble dans le genre de Judith Butler... La bibliographie de l'ouvrage se déploie comme autant de banderoles. Et incite à se (re)plonger dans les classiques de la littérature féministe, antiraciste, anticapitaliste, comme dans les essais les plus contemporains.

La preuve ? Les Réflexions de la question antisémite de la femme rabbin française Delphine Horvilleur côtoient le Système totalitaire de la philosophe allemande Hannah Arrendt, l'exploration du Regard féminin de la critique-cinéma Iris Brey les romans de Virginia Woolf... De quoi trouver les mots pour nourrir les luttes.

Se dire que "militante" n'est pas un gros mot

Sus aux machos jamais à court de "féminazie !" : Présentes tacle en filigrane celles et ceux qui souhaitent faire de "féminisme" un gros mot. Ces Unes de magazines, par exemple, qui aiment à vanter les vertus d'un féminisme "subversif mais pas agressif". La hantise d'un féminisme "agressif" et "radical" emplissait déjà les logorrhées des détracteurs de la regrettée Gisèle Halimi. Aujourd'hui, elle recouvre un édito de la femme de lettres Elisabeth Badinter, qui ne se prive pas de fustiger ce qu'elle appelle "néo-féminisme guerrier"...

Cette peur occupe aussi la profession de journaliste, rappelle Lauren Bastide. Une journaliste qui écrit (trop) sur le féminisme sera aussi étiquetée "militante". Comme si les deux étaient antinomiques. Surtout, l'emploi du mot "militante" tend le plus clair du temps à décrédibiliser celui de "journaliste" - tout du moins, s'y exerce. Une autre manière de faire taire les voix. Mais "féminisme" et "militante" ne sont pas des termes qui rebutent l'autrice.

Bien au contraire même. Elle l'écrit : "Je suis journaliste et féministe. Et je suis loin d'être la seule. Je suis devenue féministe parce que j'étais journaliste. Je suis devenue féministe parce que j'aime ce métier et que j'ai chevillée au corps la certitude de sa responsabilité sociale". Limpide.

Faire acte de résistance

Faire acte de présence, c'est enfin faire acte de résistance. Dans ses pages, Lauren Bastide esquisse les contours d'une révolution qui passerait par une fin de l'autocensure et une lutte contre l'exclusion des "soeurs" invisibilisées, comme les travailleuses du sexe ou les femmes transgenres, individualités opprimées qui engendrent de violents débats au sein des militances féministes actuelles. Mais aussi par une écoute des Afro-féministes car, dixit l'historienne Françoise Vergès (Un féminisme décolonial), "toute les féministes ne sont pas blanches".

Résister, c'est comprendre que bien des combats sont liés et peuvent enflammer les rues. Mobilisations populaires contre les violences sexistes et sexuelles et dénonciation des violences policières, marches écoféministes et indignation contre la pédophilie... Une réaction aux pouvoirs abusifs.

Et l'autrice de conclure avec enthousiasme : "Notre responsabilité est immense. Et pour avoir une chance de l'emporter, il faut que nous soyons toutes, vraiment toutes, présentes dans le cortège, avec toutes nos voix, toutes nos vies, tous nos Je". Bref, c'en est fini des bûchers aux sorcières de jadis, place aux jeunes filles en feu.

Présentes, par Lauren Bastide.
Editions Allary, 265 p.

 

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